II.1.ORIENTATION DU LANGAGE VERS L’INTERCOMPREHENSION
ET ORIENTATION DU LANGAGE VERS LE SUCCES
II.1.1. Orientation vers le succès
Dans cette orientation, selon notre auteur, l’acteur use du langage dans son agir pour influencer l’autre, son interlocuteur. Un locuteur qui agit de cette manière vise le succès, car il veut amener l’autre à réaliser ce qu’il attend. En entrant en communication, il a déjà l’idée sur ce qui en sortira.
Il est à savoir que selon notre auteur, ici le langage est utilisé contrairement à son vrai but qui est l’intercompréhension. Et, c’est pourquoi les participants qui visent le succès peuvent tout faire en vue d’influencer les autres, c’est ainsi qu’Habermas dira : « (…) ils essaient de ne parvenir aux fins qui motivent leur action en influant, pour ce faire- par des moyens extérieurs, usant de la carotte et du bâton, de menaces des promesses séduisantes- sur les termes qui définissent la situation »[1]
C’est dans cette même optique, que se déploie le discours politique. Pendant la propagande beaucoup de candidats aux différents postes font des promesses séduisantes aux électeurs, tout simplement dans le but de se faire élire. Ainsi, le professeur Onaotsho Kawende écrit : « le discours électoral en est un qui se préoccupe moins de convaincre par sa visée émancipatoire, qu’à conquérir l’adhésion et les faveurs du public, à pousser les électeurs à voter pour leur parti»[2] Dans ce sens, le langage est détourné de sa fonction qui est l’entente, il devient un moyen de manipulation, de séduction, un instrument.
En outre, le langage orienté vers le succès est souvent à la base de désaccord dans la société. Cette utilisation du langage est à moral, inhumain, reprochable. Ceci se remarque par sa façon de structurer le discours de peur que son plan soit déjoué. Dans cette optique, le professeur Onaotsho dira : « ce discours se prête à la discussion, mais tout en déployant de te telle sorte qu’il ne soit pas sujet à débat »[3] Dans cet usage du langage, il n’y a pas de considération horizontale des acteurs dans leur communication.
De plus, ce type de langage favorise la domination de certains sur les autres. Cet usage joue un rôle très important dans le pouvoir politique. Et quand le langage est orienté vers le succès, il y a domination des uns sur les autres. Par conséquent : « l’asservissement d’une catégorie des participants n’est qu’une conséquence logique de la rupture d’un équilibre intersubjectif »[4].Dans ce sens, nous comprenons que le langage orienté vers le succès a pour résultat le déséquilibre dans la société. Pour une bonne marche de la société, il faut chercher à établir l’intercompréhension par le langage.
II.1.2. Orientation vers l’intercompréhension
Il est important pour nous de signaler que c’est sur cet usage qu’est fondé notre travail. Car dans l’optique de notre auteur dans une activité communicationnelle les protagonistes ne doivent agir que de manière à aboutir à la définition commune de leur situation. En cherchant tout ce qui est possible pour parvenir à une convention admise par tous les participants, les protagonistes visent l’intercompréhension ; processus qui exige la reconnaissance de la validité d’un tel ou tel autre acte.
Au dire de Habermas, l’activité communicationnelle ne peut réussir que si elle aboutit à la compréhension entre les différents sujets. C’est ainsi qu’il écrit : « dans l’activité communicationnelle, le langage acquiert, par delà la fonction d’intercompréhension, le rôle de coordonner les activités orientées vers un but, de plusieurs sujets de l’action, et il joue aussi un rôle d’un médium pour socialiser ces sujets de l’action eux-mêmes »[5]. De ce qui précède, la fonction du langage est de socialiser les individus ; en vue de l’entente mutuelle.
A notre avis, dans la vie quotidienne si tous les hommes font tout par le dialogue pour chercher l’entente entre eux, beaucoup de conflits inutiles qui déchirent notre monde n’existeraient plus. Autrement dit, la communication exige que tous les acteurs acceptent d’accorder leurs projets d’actions et de tendre vers leurs buts respectifs pourvu qu’une entente sur la situation et les conditions escomptées existe. L’intercompréhension suppose la satisfaction de tous les participants.
Dans le sens habermasien, l’attitude orientée vers l’intercompréhension doit être élucidée presque toujours au regard des actes illocutoires. Un tel usage du langage est au centre de la pragmatique universelle qui veut la présence d’une société en droit illimité, exemptée idéalement de toute force d’influence. La communication est entendue comme une action visant l’harmonie, l’entente entre les différents participants et l’adhésion libre.
Selon Habermas, les procès d’intercompréhension visent l’entente rationnellement motivée. Car la communication ne passe que par le langage qui est son medium et ne vise que l’entente. A ce sujet il écrit : « l’intercompréhension (vestandigung) est inhérente au langage humain comme son télos »[6]. Sur ce, nous pensons que la compréhension entre les différents sujets doit être la finalité de l’activité communicationnelle.
Il est intéressant de signaler que le langage orienté vers l’entente recherche la coopération intersubjective: « les procès d’intercompréhension visent un accord qui, satisfasse aux conditions d’un assentiment (zustimmung) rationnellement motivé au contenu d’une expression »[7]. De ce fait, un accord obtenu par la communication sera rationnel par l’accord libre de chaque participant.
Le langage orienté vers l’intercompréhension suppose un dialogue qui cherche à établir un consensus. Le dialogue suppose la présence d’au moins deux sujets. Car l’homme n’est pas une monade traversant sa trajectoire seul. Entrer en dialogue, c’est faire comprendre, car selon notre auteur, l’intention du locuteur s’épuise dans le faire-comprendre, afin que dans le procès d’entente l’interlocuteur prenne position par oui ou non. Dans le procès d’intercompréhension celui qui s’y engage ne doit pas croire posséder seul la vérité. Ainsi : « nul ne détient le monopole du sens ou de la vérité, des co-sujets comme partenaires qui ne font que concourir à l’avènement d’un en-commun, de
Bref, l’usage du langage pour l’intercompréhension est du fait qu’un " Ego " cherche à relier ses actions avec un " Alter Ego". Ici les participants visent des objectifs illocutionnaires. La réciprocité de relation entre les sujets est à la base de la coordination des actions sociales. Les sujets cherchent une coopération intersubjective, en vue d’établir l’entente.
II.3. OBSTACLES ET CONDITIONS D’UNE COMMUNICATION
Dans cette partie, notre préoccupation consiste à faire montrer les obstacles et les conditions qu’établit Habermas pour la réussite d’une communication langagière. Il est utile de rappeler que l’acte du langage ne réussit que si l’autre prend position par oui ou non. Autrement dit une communication langagière au sens de notre auteur réussit dans la mesure où elle aboutit à sa finalité qui est l’intercompréhension. Ainsi, Jean Marc Ferry définit cette activité comme : « l’activité humaine spécifiquement orientée à l’intercompréhension»[9].
Dans cette optique, il nous est important de parler succinctement de l’entente avant d’aborder les obstacles et les conditions qui le bloquent ou le rendent possible. L’intercompréhension est même condition d’une société. Cette affirmation est possible dans la mesure où la société est fondée par la communication. Les prenants part à une activité communicationnelle doivent promouvoir l’entente entre eux.[10]
En outre, la compréhension intersubjective vaut comme un terrain d’entente entre ceux qui agissent communicationnellement. En d’autres termes, c’est une communication en vue d’un accord valide entre les participants. Ce terme a pour principe de joindre les actions d’un "Ego" à celles d’un "Alter Ego". Et cette adjonction au dire de Habermas n’accepte pas de contrainte, ici le paradigme sera : « la relation intersubjective qu’instaurent des sujets capables de parler d’agir, lorsqu’ils s’entendent entre eux sur quelque chose »[11]
Le processus d’entente est celui qui sert à la coordination des actions de plusieurs sujets dans la pratique communicationnelle. Ceux qui agissent en action, c’est-à-dire les protagonistes doivent avancer des raisons pour motiver l’adhésion des uns et des autres. Ainsi Habermas pense que l’intercompréhension est un : « processus de persuasion réciproque, qui coordonne les actions de plusieurs parties prenantes sur le fondement d’une motivation par des raisons»[12].De ce fait, l’accord issu des motivations rationnelles est valide. Outre cet accord, il y a des choses qui font obstacles à la réussite d’une activité communicationnelle.
II.3.1. Quelques obstacles d’une communication langagière
Il y a plusieurs obstacles à la communication. Nous ne saurons les aborder tous dans ce travail. L’essentiel pour nous est de parler succinctement de ce qui fait obstacle à cette activité dans la perspective habermasienne. Nous allons nous attarder plus sur les conditions pour la réussite d’une communication langagière.
II.3.1.1. Les variables psychologiques
Notre préoccupation ici consiste à montrer que tout participant à la communication est comme un organisme soumis à un ensemble des forces externes ou internes lié à son histoire. Dans ce sens, il peut avoir de la considération ou du mépris pour les autres participants. En cas de mépris ces variables constituent un obstacle pour la réussite de la communication. A ce sujet Habermas écrit : « l’art de dominer inconsciemment des conflits que la psychanalyse explique à partir de stratégies de défense conduit à des perturbations de la communication affectant simultanément les niveaux intrapsychique et interpersonnel»[13]. Car dès que l’un des participants souffre de complexe de supériorité ou d’infériorité, il est difficile de promouvoir la compréhension entre les protagonistes en action.
Ces effets psychologiques peuvent se manifester sous plusieurs formes. Il y a notamment, le mécanisme projectif qui consiste à assimuler la pensée de l’autre à la sienne ou à prêter à l’autre ses propres sentiments, et le mécanisme de défense où le participant ne veut pas adhérer à l’opinion qui va à l’encontre de sa propre position. Ce qui constitue un obstacle pour une communication digne ce nom.
II.3.1.2. Les mots polysémiques et les problèmes pathologiques
Le cas des mots polysémiques est ce qui a conduit Habermas à insister sur le contexte, car un seul mot peut avoir plusieurs sens différents. Ces mots constituent un mur pour la réussite d’une action langagière, dans la mesure où deux sujets en dialogue ont appris le même code dans les contextes différents.
A titre illustratif, nous prenons le concept "vedette" pour celui qui est à coté d’une rivière où les vedettes font des tours, il a l’idée de ce mot comme un moyen de transport. Alors que pour un acteur qui ne connaît rien de "vedette" comme moyen de transport, il aura l’idée d’une star. Ainsi la compréhension intersubjective serait difficile à atteindre.
En outre, les obstacles à la communication d’ordre pathologique sont causés par l’état psyho-somatique du proposant ou du récepteur. Ainsi, Habermas propose: « une cure autoréflexive sur le modèle explicite de la cure psychanalytique à la société contemporaine, afin de retrouver les véritables intérêts pratiques cognitifs et libérer ainsi l’espace public-social du parasitage idéologique qui perturbe la communication en son sein»[14].
Au sens de Habermas, les manifestations pathologiques peuvent affecter la communication. La domination provoquée par l’un des participants perturbe la communication, dans la mesure où elle peut conduire à un mécanisme de défense.[15]Ici le proposant n’agit plus en vue d’un accord valide et rationnel, mais pour se défendre.
Dans ce même sens, Moix Candide pense qu’il faut aussi ajouter la perturbation de la communication provoquée par le non respect des valeurs humaines et morales qui conduisent parfois à l’égocentrisme, au refus de l’autre, et à la légèreté par la considération des relations entre les sujets.[16] Bref, la cause principale des obstacles à la communication doit être au sens habermasien, l’affectation négative de l’un des facteurs qui constituent la communication.
II.4. CONDITIONS POUR LA REUSSITE D ’UNE COMMUNICATION
Pour Habermas, comme nous l’avons dit, la communication reste une activité intersubjective cherchant l’entente. Ainsi Guy Félix Duportail, commentant Habermas, dira : « toute communication réelle serait ainsi intéressée pour le succès même de l’intercompréhension à l’actualisation d’une situation idéale de parole contrefactuelle anticipée par les locuteurs »[17].Pour notre auteur, il faut remplir quelques conditions pour parvenir à cette fin noble qu’est l’intercompréhension.
II.4.1. Le fondement moral de la communication
Il est question de savoir que selon notre auteur, la notion de l’intercompréhension exclut immédiatement celle de l’impérialisme. Elle est comprise comme interaction de coopération, ceci implique l’ouverture et la reconnaissance entre participants à la communication comme des sujets autonomes et semblables ; c’est-à-dire libres. Il faut que les sujets se conforment avec les normes éthiques . Ces normes rationnelles visent à orienter les sujets en dialogue. Comme le pense Habermas, ces normes prônent le refus de contrainte et la reconnaissance intersubjective des sujets doués de raison capables de parler et d’agir.
En ce sens, nous voulons affirmer que l’intercompréhension n’est possible que si les sujets en dialogue obéissent à des normes éthiques, qui protègent la communication des violences pour les intérêts de quelques particuliers. L’idée de violence vaut son pesant d’or dans la mesure où ceux qui agissent communicationnellement émettent, chacun une exigence particulière. D’où la communication doit être fondée sur la morale, pour aboutir à une finalité noble qui est l’établissement de l’entente.
La morale de justesse et vérité que prône notre auteur trouve son sens dans la confrontation et la canalisation des prétentions à la validité présentées par les acteurs. Bref, l’accord rationnel auquel aboutit une communication n’est possible que si les parties prenantes acceptent que leur activité soit régie par les normes morales. L’intégrité morale du locuteur et de l’auditeur constitue une des conditions nécessaires pour la réussite de l’activité communicationnelle.
II.4.2. L’utilisation des standards et le contexte
Les standards sont ce qui est supposé être connu de tous. Au dire de Habermas, pour parvenir à l’intercompréhension, il faut que le proposant puisse tenir compte des autres participants en utilisant ce qui est connu de tous. Ainsi, écrira -t-il : « celui qui veut s’entendre avec autrui est obligé de supposer des standards communs à l’aune desquels les participants peuvent savoir si un consensus a lieu ».[18]De ce fait, on peut dire que les standards constituent l’une des conditions pour la réussite d’une action langagière.
En outre, Habermas accorde une grande importance au contexte. Pour lui, il faut que la situation du contexte soit bien réglée dans toute communication. Les acteurs doivent s’inscrire dans le même contexte d’énonciation du discours. Ainsi, Habermas écrit : « pour chaque type d’actions langagières, il faut que soient remplies les conditions générales du contexte pour que le locuteur puisse obtenir un succès illocutionnaire».[19]
C’est dans cette perspective que notre auteur incorpore parmi les préoccupations de la pragmatique, non seulement les actions langagières directes ; mais aussi indirectes, figurées, ambiguës, l’arrière fond qui donne des significations contextuelles exactes. La signification d’un acte de parole ne peut pas se passer en dehors des conditions contextuelles.
II.4.3. Les actions communicationnelles
Ici, il est question de l’attitude du locuteur ou du participant. Celui-ci ne doit pas agir stratégiquement, il doit agir comme un "Ego" qui veut coordonner ses actions avec un "Alter", afin qu’ils puissent s’entendre sur quelque chose.
Selon Habermas, les participants ne doivent poser que des actes qui vont leur permettre de se mettre d’accord comme partenaires. Car la compréhension d’un acte de parole dépend de celui qui fait que celui-ci soit acceptable.[20]De ce fait, nous nous rendons compte que les participants doivent prendre part en vue de comprendre. Le proposant ne doit pas agir avec exigence de coordonner son agir dirigé vers un objectif avec celui des autres participants immédiats.
Pour le dire autrement, celui qui prend part à un procès de communication, doit agir toujours de façon à établir des relations interpersonnelles. Dans ce processus, il est demandé aux participants d’adopter l’attitude de dialogue et d’écoute, en vue d’une compréhension réciproque. Autrement dit, par l’écoute et dialogue, les acteurs agissent en vue d’une coopération intersubjective. Pour ce, voilà l’exigence pour nous de faire appel à la tolérance.
II.4.4. La tolérance
L’idée de tolérance est très significative dans la pensée habermasienne. En effet, pour notre auteur, celui qui prend part à une communication doit savoir que des autres peut sortir quelque chose de bon. En d’autres termes, quiconque prend part à un procès d’entente doit être disposé à accepter que la perspective de l’autre soit aussi bonne. Les participants doivent aussi accepter les critiques: « chaque consensus repose sur une reconnaissance intersubjective des prétentions critiquables à la vérité ; et par là même il est présupposé que ceux qui agissent communicationnellement sont capables de critiques réciproques »[21].
La tolérance exige aussi que l’autre soit considéré comme tel, car il est affirmé qu’il peut contribuer à l’établissement de la recherche de l’intercompréhension. Etre tolérant, implique une desabsolutisation de soi, car « c’est peut être l’autre qui a raison ».[22] Ceci nous laisse dire que pour parvenir à un accord valide dans la communication, l’acteur doit être disposé à entendre les propos des autres. C’est ainsi que nous posons la tolérance comme une des conditions pour la réussite d’une communication langagière.
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