L’homme est un être rationnel, c’est-à-dire doué de raison. La raison est consubstantielle à la nature humaine ; mais cette raison vaut plus dans la relation sujet-objet. C’est pourquoi nous essayerons de chercher le spectre du déploiement de la raison dans le monde social, où l’homme est appelé à communiquer avec ses semblables.
Beaucoup de philosophes avaient une vision réductionniste de la raison en limitant celle-ci au niveau instrumental, économique, politique. Cette conception conduit à la rationalité manipulatrice qui considère l’homme comme un moyen, alors que celui-ci n’est pas seulement un moyen mais aussi une fin. C’est pour cette raison qu’Habermas surgit pour faire contre pied, non seulement aux philosophies de la réflexion comme celle de Descartes, Hegel et autres, mais aussi à l’impérialisme des sciences exactes.
Considérant l’homme dans sa relation intersubjective, Habermas plaide pour une reconnaissance de celui-ci vivant dans le monde social. L’homme doit être considéré dans sa relation avec les autres sans domination, ni contrainte. Et cette vie doit être centrée sur le dialogue, c’est-à-dire la communication. Dans cette optique, la communication aura pour finalité la compréhension entre les différents interlocuteurs. Ainsi avec Habermas la raison n’est pas seulement transcendantale comme le pensait Kant, mais surtout communicationnelle. A ce sujet Okolo écrit : « par rapport à Kant, Habermas semble plus heureux, il réussit là où Kant a échoué : Kant avait vainement essayé de ramener la raison pratique à la raison pure, Habermas réussit à ramener la raison pure à la raison pratique »[1].
Il serait intéressant de signaler que toute communication n’aboutit pas nécessairement à l’intercompréhension. C’est pourquoi, Habermas plaidera pour une démarche consensuelle, en vue d’un accord rationnel. Habermas pensera la rationalité comme co-originaire à la socialité. Ce chapitre est divisé en deux grandes parties. Dans la première partie, il sera question d’expliciter quelques concepts fondamentaux de ce travail. Dans la deuxième, nous allons montrer le spectre de déploiement de la raison, c’est-à-dire nous expliciterons le lieu où la raison communicationnelle se manifeste.
I.1. ELUCIDATION DES QUELQUES CONCEPTS
I.1.1 Rationalité
La raison est inhérente à la nature humaine, elle est consubstantielle à la vie de l’homme. Habermas considère que la rationalité se déploie à travers les activités communicationnelles. Autrement dit la raison est au service de la communication : c'est-à-dire la raison a un aspect important dans la théorie habermasienne.
La rationalité selon Habermas peut amener à la manipulation instrumentale ou à l’entente communicationnelle. Cependant notre auteur prône celle qui conduit à l’entente par un consensus : « ce concept de rationalité communicationnelle comporte des connotations qui renvoient finalement à l’expérience centrale de cette force sans violence du discours argumentatif qui permet de réaliser l’entente et de susciter le consensus»[2]. Cette rationalité conduit à un accord motivé entre les participants à la communication.
Il est à savoir que la raison est un outil au service de deux ou plusieurs sujets en interaction. En d’autres termes, la raison est ce qui nous permet d’arriver dans les activités communicationnelles réussies. Cette rationalité ne concerne pas l’acquisition de connaissance, mais elle concerne plus l’utilisation du savoir : « (…) la rationalité a moins à avoir avec la connaissance et la production de savoirs qu’avec la façon dont les sujets capables de parler et d’agir appliquent ces savoirs »[3]. Bref, cette raison est considérée comme procédurale.
Pour Habermas, la rationalité est aussi liée aux énoncés. Ainsi un énoncé sera dit rationnel, quand il intervient dans une délibération d’au mois deux personnes capables de parler et d’agir. La rationalité des énoncés s’exprime dans leur capacité d’être fondés et critiqués. Il est à savoir que cette rationalité des expressions est conditionnée comme le dit Habermas : « une affirmation ne peut être rationnelle que si le locuteur remplit les conditions nécessaires pour atteindre l’objectif illocutoire consistant à s’entendre sur quelque chose dans le monde avec au moins un autre participant à la communication »[4].
I.1.2. Activité communicationnelle et Activité stratégique
Dans la logique habermasienne, il y a deux types d’activités rationnelles. L’activité orientée vers le succès, et l’activité dirigée vers l’entraide et la compréhension entre les différents participants. Ce sont ces deux types d’activités que nous allons analyser.
L’activité communicationnelle est celle qui se caractérise par une recherche coopérative entre les participants, c'est-à-dire le locuteur agit de manière à établir une relation interpersonnelle avec les autres participants. Dans ces genres d’activités, l’interlocuteur est à considérer comme un partenaire avec qui on est appelé à une entente. Selon Habermas ce concept marque la dimension communicationnelle dans l’interprétation d’une situation en commun. En d’autres termes, ce concept renvoie à la mise au point d’un consensus.[5]
L’activité communicationnelle est celle qui se produit au moment où les participants accordent leurs projets d’action de l’intérieur et de ne tendre vers leurs buts respectifs qu’à la seule condition qu’une entente soi réalisée.[6] Il est important de savoir que cette compréhension entre les participants n’admet pas de contrainte ; au contraire elle demande une adhésion rationnelle de chacun des participants. L’objectif de cette activité est de promouvoir la compréhension entre différents acteurs en dégageant un consensus.
Par ailleurs, l’activité rationnelle stratégique est quelque fois de nature instrumentale ou, manipulatrice. Dans la mesure où un acteur s’oriente vers le succès, il ne désire pas promouvoir l’entente ; mais il cherche à tout prix à satisfaire son but. De ce fait, il peut utiliser tous les moyens possibles, comme la contrainte, la domination, la menace, en vue de la satisfaction des ses calculs égocentriques.
Bref, l’activité communicationnelle renvoie à un agir qui a pour orientation l’intercompréhension, en appliquant les règles connues de tous les concernés. L’application des normes qui ont une reconnaissance universelle est souhaitée pour éviter des conflits de compréhension entre ce que le locuteur veut exprimer et ce que l’interlocuteur comprend de ce qui est dit.
I.2. LE DEPLOIEMENT DE LA RATIONALITE
I.2.1. Dans l’argumentation
L’homme, étant un être rationnel, cherche comment justifier la cohérence de ses actions dans la société. Pour ce, il fait appel à l’argumentation comme discours l’aidant à admettre ou à critiquer une prétention à la validité élevée par lui-même et son entourage. Malgré la tradition antique qui remonte à Aristote, à savoir la logique formelle, qui consistait à l’enchaînement des propositions pour une conclusion valide. Ce fut une bonne façon de convaincre. Habermas de son coté fait appel à une logique de l’argumentation qui est fondée sur la cohésion intrinsèque des actes par lesquels les arguments sont fondés. A ce sujet Habermas écrit : « la logique de l’argumentation ne concerne pas les systèmes d’enchaînement logiques d’unités sémantiques (phrases) ; mais plutôt les relations internes déductives ou non entre unités pragmatiques (actes de langage) à partir desquelles se composent les arguments »[7].
Il est utile de signaler que la notion de l’argumentation est appliquée par celle de consensus. L’argumentation est à considérer comme poursuite par des moyens réflexifs de l’activité orientée vers l’intercompréhension. Aussi comme une forme d’interaction réglée spécifiquement. Les arguments doivent être considérés comme pertinents, convaincants en vertu de propriétés intrinsèques et grâçe auxquelles on peut honorer ou rejeter les prétentions à la validité.[8] Dans cette optique, Habermas analyse l’argument comme processus, procédure et production.
I.2.1.1. Argument comme processus
L’homme cherchant toujours à vaincre dans la discussion peut utiliser toute sorte d’argument même si l’argument n’est pas pertinent. C’est pourquoi l’homme peut faire appel à la rhétorique, c'est-à-dire à une haute performance linguistique en vue d’obtenir l’assentiment de ses interlocuteurs. Sur ce, Habermas écrit : « il s’agit d’une forme de la communication improbable, car tendanciellement rapprochées des conditions idéales »[9].
De cette vue des choses, nous comprenons que l’acteur ou le proposant fait tout pour soutenir toujours sa position initiale. Le souci de l’acteur n’est que de persuader d’autres participants, il reste toujours dans sa position, dans le but de faire valoir ses opinions.
En outre, sous cet aspect de considérer l’argument comme processus ; nous pensons que l’influence d’une haute performance linguistique peut agir su les arguments pour légitimer uniquement ses intentions propres d’un acteur. Dans ce cas, l’acteur agit non avec intention de coopération, mais avec celle de convaincre un auditoire universel. Et celui qui agit cherche à toux prix l’adhésion générale des autres acteurs.
I.2.1.2. Argument comme procédure
En considérant l’argument sous cet aspect, ce dernier devient un moyen pour mettre fin au débat. En d’autres termes, l’intention des protagonistes est d’achever le débat autour des prétentions élevées par un accord rationnellement motivé. Chaque prétention doit être soutenue par les arguments valides. Il est savoir que, c’est une forme d’interaction normée spécifiquement. C’est-à-dire le proposant et l’opposant sont dans une forme de travail coopérative, afin d’aboutir à l’entente. Et pour s’assurer grâce à la raison de la justesse ou non de la prétention soutenue par l’un ou l’autre.
Il est important d’utiliser l’argumentation comme procédure, dans le seul souci de mettre un terme à toute forme de communication discursive.
Dans ce sens, l’argumentation n’admet qu’une seule contrainte qui est celle du meilleur argument. Le proposant et l’opposant grâce à la raison, chercheront à trouver la justesse ou non de la prétention élevée. Tout ceci dans le but de mettre fin au débat autour des prétentions hypothétiques à la validité élevées par l’un et l’autre en vue d’un accord motivé par la raison.[10]
Il est question de la logique de production des arguments capables d’influencer l’adhésion d’un autre participant. En d’autres termes, il faut produire des arguments qui seront à mesure d’amener les autres participants à croire en ce que vous dites ; les arguments doivent être bien fondés. La force d’un argument se mesure par sa capacité de justifier l’acte posé. Il ne serait pas étonnant de nous entendre parler de la logique de l’argumentation, car les arguments peuvent se présenter sous plusieurs formes en tenant compte du contexte de la situation. Autrement dit, les arguments dépendent du, type d’argumentation qu’un locuteur veut soutenir. Les arguments varient d’une entreprise à une autre.
I.2.2. DANS L’AGIR DRAMATURGIQUE
L’homme est un être qui est toujours considéré comme un mystère, car chacun se connaît mieux lui-même que les autres. L’homme montre à l’autre une partie de sa subjectivité par les actes qu’il pose dans le monde social avec ses semblables. Cette forme d’interaction sociale devient alors comme le dit Habermas : « une rencontre où les participants constituent un public dont chacun se produit pour l’autre et présente à l’autre une partie de lui-même »[13].
L’homme qui se présente, qui veut montrer sa subjectivité en partie aux autres joue le rôle de l’acteur et les autres jouent le rôle du spectateur. Dans cette optique, nous comprenons qu’il s’agit d’une rencontre entre personnes ; c’est- à -dire il est question d’une interaction sociale. Dans une telle forme d’action, les gestes, la parole, la représentation, la façon de parler ont une importance très capitale. C’est ainsi qu’Habermas écrira : « dans l’agir dramaturgique les caractères de style, l’expression esthétique, les qualités formelles en général revêtent un si grand pois»[14].
Avec l’inflexion de la philosophie prônée par Habermas, nous constatons que l’homme est un être qui est dans la société où existent des lois. De ce fait, l’homme est appelé à respecter ces lois de la société dans laquelle il appartient pour le bien de vivre ensemble. L’homme aura maintenant la tache difficile de respecter les interdits, les normes, la non violence de sa société.
Il est intéressant de comprendre que cette structure d’agir est régulée par des normes reconnues de tous les destinataires. Ces normes ne sont pas n’importe lesquelles, mais elles sont trouvées à partir d’un consensus de tous les concernés. Ces normes doivent être légitimées par les participants ; c’est cette reconnaissance qui en fondera sa validité. C’est ainsi que Habermas écrit : « nous disons qu’une norme existe ou jouit de la validité sociale (soziale geltung), si elle est reconnue comme valide (geltig) ou légitime par ses destinataires »[16]. A notre sens, une norme est le fruit conventionnel d’un cercle des participants. Et pour voter des normes, il faut une bonne participation ou, un bon exercice de la raison.
I.2.4. DANS L’AGIR TELEOLOGIQUE
Dans cet agir l’acteur est ici en face du monde objectif, c’est-à-dire l’ensemble d’états des choses existants. L’acteur présuppose un monde qu’il souhaite réaliser, concrétiser, transformer. Il développe les intentions avec comme orientation de faire exister les choses souhaitées. C’est le cas d’une activité par rapport à une fin préalablement connue. L’acteur cherchera les moyens qu’il faut réunir pour la réalisation des intentions, ses opinions.
CONCLUSION
Qu’il nous soit permis de conclure à ce niveau que la rationalité dont parle Habermas n’est que procédurale. C’est-à-dire la rationalité dans l’optique habermasienne consiste non à la possession de la connaissance, mais à l’utilisation de celle-ci, en vue d’une entente entre plusieurs sujets. Habermas plaide pour une raison qui prévoit l’émancipation de l’homme à travers la communication. La reconnaissance des sujets en action est le fruit de la raison pour une activité communicationnelle réussie.
[1] OKOLO OKONDA, « Rationalité et rationalités chez Jürgen Habermas», in revue philosophique africaine, n°24,1996. p.6.
[2] J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, tome1, Paris, Fayard, p.26-27.
[3] Ibid., p.24.
[4] Ibid., p.27.
[5] Cf. J. HABERMAS, Morale et communication, P.149.
[6] Cf. ibid., p.148.
[7] J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, Tome1, p.39.
[8] J. HABERMAS, Textes et contextes. Essai de reconnaissance théorique, Paris, Cerf, 1994. p.40.
[9]J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, tome1, p.41.
[10] Cf. ibid., p.41
[11] Ibid., p.48.
[12] Cf. ibid., p52.
[13] Ibid., p.106.
[14] Ibid., p.108
[15] Cf. RAYMOND BALL, Pédagogie de la communication, Paris, PUF., 1971. p.29.
[16] J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, tome1, p.104.
[17] Cf. J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, tome2, Paris, Fayard, 1987. p.225.
[18] Ibid., p.101.
[19] Cf. ibid.
Kalonda Itsekuna
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