jeudi 3 juin 2010

Notions éthiques dans la poésie Luba

Le sujet de notre étude est l’un des genres de la poésie Luba. Nous l’avons choisi en raison de sa place dans la vie sociale. Lié à des circonstances importantes, kasala exerce une emprise sur ses auditeurs, il a des composantes qui méritent d’être examinées surtout du point de vue sociologique. Nous avons voulu l’utiliser comme fil conducteur pour entrer au cœur de la société Luba et remonter tout en expliquant aussi ses origines. Et ceci, pour essayer de comprendre ce qui constitue la véritable force motrice d’un genre littéraire comme le Kasàlà, le type de culture qui l’a fait naître, son cheminement à travers l’évolution historique de la culture originelle et la marque qu’il a pu garder dès sa naissance, et de voir enfin, grâce aux variations intervenues dans l’exercice du genre littéraire qui fait la force ou l’affaiblissement d’une culture.

Au point de vue esthétique, nous désirons comprendre l’habilité du chanteur dans son expression et, dans la mesure du possible, saisir sa technique de composition, d’évocation et d’agencement des faits et des idées. Le champ d’étude de ce travail se situe dans la société Luba, précisément dans la province du sud-kasï, actuellement province du Kasaï oriental, chef-lieu Mbuji-Mayi.

Du point de vue méthodologique, nous adoptons une lecture à la fois analytique et compréhensive. Nous voulons faire un exposé thématique de la chanson Kasàla dans la société luba. Cela nous permettra, par un effort réflexif suivi, d’approcher la compréhension de cette chanson kasala, d’en saisir le fond et surtout son contenu.

Hormis l’introduction ainsi que la conclusion, notre essai de compréhension s’articulera sur deux chapitres. Dans le premier, nous allons parler de l’aperçu général de la société luba tout en expliquant la source ou l’origine de kasala. Dans le second, nous expliquerons le contenu de kasala.

Géographiquement le sud-kasaï était compris entre le 23eme et le 25eme degré de longitude, le 5eme et 8eme degré de latitude sud. C’est une région baignée par le Lubilànji et Lubi à la différence du kasaï-occidental région baignée par la rivière kasayi et Lulua au centre même de la ville.

Ce territoire du kasaï-sud est peuplé par les Baluba bà kabàmba ainsi désignés par le nom de leur ancêtre. On les appelle aussi Baluba-Lubilànji, au nom de la rivière sur les bords de laquelle ils habitent. Ils sont Baluba-Bambo selon l’appellation qui leur vient de leurs voisins orientaux bayembi ou basonge et Bapemba. Mais eux-mêmes, jadis s’appelaient Beena Lubilanji ou gens de la Lubilanji et les occidentaux Beena Lulua ou gens de la Lulua. Les Bayembi les appelaient avec mepris Bâmbo ou Balubai. Et Bambo aurait le sens de chiens, ce qui s’exprime par le fait que les Bayembi, arabisés, faisaient la guerre et prenaient des Baluba en esclavage pour le compte des chefs arabes, Tipo-Tipo et Sefu, son Fils. Par la désignation Fils de Kabàmbà, on opposait les Baluba-Lubilànji par exemple aux Fils de Sangali ou shankadi c’est-à-dire les Baluba shankàdi, à la branche habitant le Buhembà : les Baluba-Hemba. C’est dans ce contexte que notre hauteur a écrit la chanson de Kasàla en disant :

Tudi bafume kwà kasonga kudiba : nous sommes venus du pays de kasonga, au levant ;

Tukààdi bu nzoolo mwiba bana : nous sommes dispersés tels les poussins d’une poule victime d’un vol ;

I.1. Le passage

Ce passage laisse entendre que les Baluba-Lubilànji auraient quitté leurs pays d’origine à la suite de troubles internes. Lazare Mpoyi donne Kasongo kadimbi Nkumwimba comme chef de file de cette immigration. Fils aîné de Mùlopo kasongo mwine kàbanzà ou kasongo wa ku Dïbà, il fut doublement déçu. D’abord il rata la succession au trône de son père. Ensuite, revenant du lac samba où les auspices lui avaient été victime d’injures et de vexation de la part des partisans de son frère cadet, vainqueur. Ceci implique que les deux compétiteurs non seulement de mères différentes, mais aussi que celle de l’aîné était de rang supérieur. L’infortuné candidat, qui, du vivant de son père menait déjà la vie d’un grand, réunit tous ses partisans. Précèder d’une longue colonne d’émigrants il se dirigea vers le nord-ouest, dans la direction du trois branches de la Lubilànji : Bituuta, kaaleelu (appelé aujourd’hui Kananga et Mbuji Mayi. Il s’arrêta à l’endroit qui porte aujourd’hui le nom de Miabi qu’on appelle également au singulier Mwabi, signifiant la chance, la bonne fortune et c’est à ce niveau que s’est établi aujourd’hui l’Unité Kasaienne ; en ciluba : tudisangishayi Tudi bena Muntu. C’est donc un endroit de la bonne fortune. Kadimbi décida d’arrêter sa démarche à cet endroit mais la tradition n’indique pas pourquoi.

I.2. le peuple luba

Le peuple Lubà comprend différents groupes :

  1. les BaHembà ou bàlubà-Hemba vers le nord-Est, qui se situent entre le Luàlaba, le Tanganika et le Moëro.
  2. les Bàlubà-katanga et les kanyoka, au sud, entre le Mbuji-Mayi et la Lubulànji, Lubilànji et Luàlaba.
  3. les BaYembe, vers le nord, entre Lomani et Lubilànji.
  4. les Beena Lulua, dans les vallées de la Lulua, au nord des kanyoka.
  5. les bakwà Luntu, dans la vallée de la Lubi.

A part les Hemba, ces groupes sont prélinéaires. On peut les classer en deux catégories :

a. les Bàlubà-katanga organisés en Etat ;

b. les BaYembe, les bakwa luntu, les Beena Lulua et les baluba-lubilanji étaient groupés dans les grandes villes gouvernées par des chefs puissants soutenus par l’association politico-religieuse du bukishi en structure politique segmentaire.

II.1.Le contenu de la chanson ou Kasàla

Parmi les genres du kasala, musambo ou chanson peut être classée en trois catégories suivant la fonction qu’elle remplit.

1) masanka (pour la joie), les amusements dans la société. Cette catégorie comporte de sous-classes selon les instruments d’accompagnement utilisés et le contexte. Ainsi, au cours de bibilu ou festivités, rassemblements populaires, on peut entendre des bisanji : chansons accompagnées aux instruments à lamelle en fer, récemment introduits par les serviteurs des missionnaires. Ils apparurent pour la première fois dans les missions catholiques de Mikalayi et de Bunkonde.

2) Dans le sud Kasaï, nous avons constaté les formations dirigées par kadima nsenji de Beena mpaatu à cilenge et à Mbuji-Mayi. Ils sont presque tous spécialistes dans le genre dit cikùna qui raconte les petites histoires locales et d’actualités.

3) Nous avons aussi des groupes des quitaristes au Kasaï oriental, mais ils n’ont pas fait long feu. L’unique survivant qui ait produit quelque chose est le moraliste kabongo. Il a chanté en ciluba et en swahili.

II.2. le contenu de Kasàla

1) Cimbu n-cifwà mu Kananga ; une débâche s’est produite à Luluabourg, celle

Mwena bàyende mwimpe ; qui a un bon mari, qu’elle le mette dans une

Eelé mu mushèté ; malle, qu’elle prenne la clef, et la garde sur

Angata mvungùla, le bord de son pagne.

Ende nendè ku cilambà.

2) Tudi nkonga konganganaayi ; si nous sommes des Nkonga, réunissons-nous,

Nkonga waakushààla cya nyima un Nkonga qui reste en retard porte sa responsa

m-bwalu bwendè ; bilité ;

Tu konganganaayi tùyaayi kwètù réunissons-nous, nous allons dans notre pays.

Patwàyà apa : lorsque nous y serons arrivés : que le kalonji

Mukwàkalonji apite àase mu passe et aille habiter à ngandanjika et à cilenge

Ngandanjika ne mu cilenge ; que le Diishi habite à Miabi et à Dibundi ;

Mukwa diishi àase mu Miabi que Kalamba (Beena Lulua) habite malandi

ne mu dibindi ; et luluabourg.

Mwena Lulua ku malandi wa kasaiens, partons chez nous, allons habiter

Nshinga ne ku cisese ; auprès de nos parents ;

Kàdi m-màshinyi kaayi atwafutà Katanga est un pays, mais ses habitants sont

Bwa kuya kwètù ? un fléau

kàsayi tuyé kwètù tùye kusomba

Kudi baledi bèetù ;

Katanga n-ditùnga bàdi munda mwa

n-cyoole

3) cilumbù n-kasa badi mwamwa bààkila ; un procès en jugement est comme un jeu :

Badi mùnu bààkila ceux qui sont en face l’envoient ; ceux qui

Cilumbu m-mupimbi wa ngaji sont ici l’attrapent ; le procès est comme

Pawamba wààlekela waashiilakù un décorticage des noix, quand tu auras

Bakwàbo bàmbako ; parlé, arrête-toi, mieux vaut laisser à

Cilumbù m-madiba, patwapùwa d’autres l’occasion de parler ;

Twavwa kuvùngula le procès est comme un tissu en raphia

Quand nous parlons, nous l’enroulons, en

Nous taisant nous le déroulons.

Au moment de naissance (noël)

4) vwalayi bilamba kanumonaayo habillez-vous, venez voir ;

Mulopo maweja nangila waalopoka Dieu tout poussant est apparu ;

Ne bumanji mutumbanganyo il a les allures d’un bourreau ;

Ne mulumbu udulangana il est porteur n’une canne meurtrière

Ne difuma kalengeja mutondo et d’une lance d’apparat

Ne mwela mutookatooka il porte d’un glaive étincelant qui cherche

Udi wenda ukeba bintu mpangulaa mito des choses comme des têtes à couper ;

Mulopo maweja nangila ; Dieu tout puissant, Badibanga toi que

Badibanga nsambukaa bisaala ne gène aucun obstacle dans ta course.

5) Nkole mwanaa bintu Ilunga Mbidyo toi le puissant Ilunga Mbidi maître des

Banga banga mulumaa luntente Nkodyo ; choses, le querrier redoutable ;

Mulengele wa kwasa nyanga ne cilongo toi qui es digne de porter les plumes de

Wa kujika ku mutu nyanga et une fleur sur la tête ;

Mukalenga baakubukila baapanga seigneur pourquoi t’appelle-t-on en vain.

Kudi baamuvwala mwena ngoma par les porte-tambour ?

Enda mwendenda nkashaama marche comme un léopard ;

Enda mwendanda ntambwa marche comme un lion ;

Mukalenga fwakunu unngitaba seigneur, viens me répondre muni des

Ne bitookatooka bya leelu choses blanches de cette époque

Dikumi tèntè une bonne dizaine

Dikumi tèntè une bonne dizaine

Ke didyadya baamuvwala mwena ngoma c’est celle là qui convient aux

Mukalenga kulenduku kupono porte-tambour.

Seigneur, ne trébuche pas, ne tombe pas.

Au moment de conflits

6) Kwakalwa diiba d’où monte le soleil,

Kwakalwa maalu il ne nous vint point d’affaires ;

Maalu onso aakalwa tous les ennuis nous viennent d’où il alla

Amu kwakayadyo kubwela se coucher ;

Kwakalwa batooke il en vint des blancs, il en vint des

Kwakalwa mundyendye mundyendye et aussi des portugais montés

Kwakalwa mputulukeeshi sur les œufs.

Mibanda pa ngomba de plus, Kalonji alla mettre la main sur

Kadi kalonji wa kaya l’affaire ;

Kutwa byanza bwalu bulwa panu ; cette affaire étant sortie se répandit

Bwalwa kututampaakeena contagieusement sur nous tous ;

Tukààdi tukéba kwa kubwela kupanga. Nous cherchons en vain à nous en

Débarrasser.

II. 3.les enjeux éthiques de kasala

Le but de kasala est de provoquer les majinga, c’est-à-dire la nostalgie. Suivant le contexte où l’on veut faire produire les effets des majinga, on distique trois sortes de kasala :

1) kasala kà dikanda ou ka nvita, pour stimuler la bravoure et rendre résistant ;

2) kasala kà musambu ( de chanson) ou kà disàka ( de joie), pour provoquer la joie et la fierté.

3) Kasàla kà madilu (de deuil).

- Les circonstances reguerant le courage ( bukitu), la force physique (dikànda), la persistance dans l’effort : comme le champ de bataille.

- Les circonstances de joie collective ( bibilu) comme la réception des notables du pays à la résidence du chef ( mu cibanza) ou bien un cortège officiel, ou encore une fête organisée par une quelconque des grandes figures du pays. Dans les circonstances précitées, on ne chantait le kasala qu’à des moments déterminés. Sur le champ de bataille , le chanteur du kasala, flanqué de deux accompagnateurs se tenaient aux côtés d’un grand querrier (cilobo) coiffé d’une plume rouge comme un dignitaire et en tenue claire, il portait des armes, mais ne combattait pas. Il surveillait le déroulement du combat. Le but était de susciter en eux un regain de force.

Le Kasàla chanté lors d’un décès n’était pas en général l’œuvre d’un spécialiste. N’importe quelle femme pouvait exprimer sa douleur dans ce style. Toutefois, la présence d’une professionnelle dans une maison de pleurs était remarquée. De sorte que les non professionnelles se tenaient l’une après l’autre pour l’écouter. Ainsi, elles apprenaient et l’art et quantité de choses dite à cette occasion.

- le mariage religieux. A défaut d’une femme spécialiste du kasala, un lecteur lisait devant le couple, une poésie rappelant par certains cotes le kasala. Il y énumérait obligatoirement la généalogie du mari, puis celle de la mariée.

- Les ordinations des prêtres catholiques et les jubiler religieux. Les organisateurs y intéressaient les villageois de sorte qu’au programme figurait le kasala avec participation des querriers mimant un combat (mfumu). On y lisait également le Mukanda.

- Les fêtes officielles, depuis la période coloniale, ont toujours donné lieu à des grandes manifestations culturelles animées principalement par des groupes issus des milieux traditionnels.



Par Tshibuabua Ben Roland

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